Satori, l'essence du Japon
Du cinéma aux films animés et jeux vidéo, de la politique aux arts martiaux, de la littérature à la photographie et bien au-delà, le Japon a vu naître beaucoup de personnalités à la renommée internationale. Et s’il fallait choisir un ambassadeur dans le royaume des senteurs, ce serait sans doute Mme. Satori Osawa.
Totalement immergée dans la tradition et l’art de vivre à la japonaise, Satori-san était destinée à devenir maître parfumeur. Ses influences et inspirations sont multiples et variées : les fleurs, grâce à sa mère enseignant le kadō (kadō connu également sous le nom d’ikebana, l’art traditionnel japonais de l’arrangement floral) ; la cérémonie du thé (Satori-san et sa mère sont toutes maîtresses de la cérémonie sadō, l’art du rituel du thé) avec l’odeur de l’encens ou du charbon qui brûlent pendant la cérémonie et la nature en général. Tous ces éléments ont nourri sa sensibilité innée et son intérêt pour l’univers des senteurs.
Satori-san a réussi à créer un nouveau langage olfactif, différent de tout ce que l’on trouve en Occident. Pour elle, le parfum est plus qu’un outil d’affirmation de soi : c’est un moyen subtil de transmission des valeurs, émotions et messages. C’est quelque chose qui peut être perçu et ressenti avec tous les sens, pas seulement l’odorat. C’est un symbole du temps et de l’espace, non seulement un élément de l’individualité. C’est un pont entre l’intérieur et l’extérieur, entre présent et passé, réalité et légende, Orient et Occident.
Et s’il l’on évoque sa création plus en détail, Satori-san puise ses inspirations des rituels nippons, des poèmes –notamment de l’anthologie Man’yōshū –, des mythes et des personnages de légende et donne vie aux plus fins des parfums.
Le parfum Oribe s’inspire de la vie d’Oribe Furuta, célèbre maître de thé du XVIe siècle. Sakura est un tourbillon de pétales de cerisier flottant dans les airs, une ode à hanami. Yoru no Ume est l’essence de la prune japonaise. Suiren est un jardin de lotus. Wasanbon est un parfum gourmand qui représente le sucre fin japonais. Koke Shimizu est l’eau fraîche d’une rivière de montagne qui danse allègrement sur un tapis de mousse verte. Son travail est également inspiré par des éléments iconiques d’autres cultures comme Mother Road 66 ou Petit Trianon.
Le but de cet entretien est d’explorer les coulisses de son voyage créatif et entrepreneuriale, les émotions et les forces qui l’ont propulsée sur la scène mondiale des parfums.
Les débuts
Tout d’abord, nous aimerions savoir comment le projet est né. Enfant, vous rêviez-vous déjà maître parfumeuse depuis votre plus tendre enfance ?
Pour tout vous dire, quand j’étais enfant, je rêvais de ce que rêvent toutes les petites filles : me marier… Mon deuxième choix était de devenir jardinier, parce que j’aimais les fleurs et les plantes. Sur ma liste se trouvaient aussi les métiers d’astronome ou ballerine. Mais il faut avouer que, la plupart du temps j’étais attirée par les fleurs et tout ce qui était lié au monde végétal.
Y-a-t-il un souvenir olfactif particulier qui a influencé votre carrière et vos choix futurs ?
Quand j’étais à l’école primaire, j’ai lu le livre Parfum de Michihisa Katada. C’était une sorte de livret avec plein de photos vivement colorées de parfums sur lequel je suis tombée chez moi. C’est à ce moment-là que j’ai appris comment le mot « Nez » était décrit en japonais. Cependant, à l’époque je n’aurais jamais imaginé devenir un parfumeur.
Mon intérêt pour les parfums s’est développé naturellement, au fur et à mesure, étant entourée par de plantes, huiles essentielles, de mélanges d’huiles essentielles. J’explorais, je testais, je m’émerveillais… Et plus le temps passait, plus je me disais que la parfumerie était le choix évident pour moi.
Entre 1988 et 2000, vous aviez votre magasin de plantes et aromathérapie à Tokyo. Ensuite, en 2000 vous avez décidé de lancer la marque « Parfum Satori ». Pouvez-vous nous en dire plus sur le moment où vous avez décidé de vous lancer dans cette nouvelle aventure ? Quelles étaient vos motivations principales, au tout début ?
Pour faire la transition entre l’aromathérapie et les parfums il a fallu tout simplement que je crée mon propre business. Le seul chemin que j’aie vu a été de lancer ma propre marque sous laquelle j’allais commercialiser les parfums que j’avais envie de créer. En plus des parfums, j’ai voulu ouvrir une école, pour laquelle j’ai également eu besoin d’une marque. La création de la marque a donné vie à mes idées, les a traduites d’une façon concrète. Depuis le début, j’ai voulu que les produits et l’école coexistent. La création de la marque m’a permis d’exprimer et de capitaliser sur mon identité en tant que japonaise. Toutes mes collections sont inspirées et basées sur mon passé et mes expériences vécues au Japon.
Quelle a été la réaction de votre entourage ? Est-ce que vous vous sentiez soutenue ? Leur aide était-elle importante pour vous ?
Bien sûr, cela a eu beaucoup d’importance pour moi. Au départ, ce fut difficile pour moi de travailler en tant que parfumeur indépendant au Japon, faute de modèles. Il y a eu des tests et des erreurs. Mais, parmi les déceptions et les découragements j’ai reçu de nombreux messages de la part de personnes qui m’encourageaient et qui m’aidaient.
Qu’est-ce que vous espériez obtenir au lancement de votre propre marque ?
Tout d’abord, c’était une façon de m’affirmer, m’exprimer et de m’accomplir. J’ai senti que c’était ma mission de représenter la culture japonaise à travers le monde. J’y étais attachée depuis toujours.
L’école des parfums Satori
Pouvez-vous nous donner un peu plus de détails sur l’école Satori ?
L’école n’est pas destinée exclusivement aux parfumeurs. Elle est ouverte à tous ceux qui aiment les senteurs et qui veulent apprendre. Cependant, le contenu s’adresse plutôt aux initiés qui ont déjà des connaissances sur les parfums. Le contenu est à la fois théorique et pratique, basé sur le savoir-faire Satori. Les motivations des étudiants sont différentes : travailler dans l’industrie des parfums, s’améliorer dans le cadre de leur travail ou encore s’enrichir sur le plan personnel. Par exemple, Tomoko a rejoint l’école en 2002. Une fois la formation achevée, elle a utilisé ce nouveau savoir pour changer de poste et commencer à travailler dans le marketing chez Takasago International Corporation. Elle a quitté ce poste en 2012 pour de raisons familiales et depuis elle travaille pour les Parfums Satori comme Directrice du Marketing et formateur à l’école.
Même si les matières premières sont essentielles dans l’apprentissage et l’étude des parfums, il est souvent difficile de les obtenir et de les utiliser pour apprendre. Comme j’ai ma propre marque de parfums, je peux mettre ces éléments à la disposition de mon école et de mes étudiants.
Je pense que la marque et l’école vont de paire. C’est un vrai plaisir d’échanger avec des personnes aussi passionnées par les parfums. C’est un pur bonheur si à travers le parfum j’arrive à leur transmettre mon savoir-faire, à leur faire découvrir un monde inconnu et partager de fortes émotions.
Le processus de la création
Comment vous décririez-vous : femme d’affaires, manager, nez, créatrice ?
Je suis parfumeuse, créatrice.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la création d’un parfum ? Quel est le chemin parcouru entre l’idée et le résultat final : le produit ?
Généralement, quand j’imagine un nouveau parfum, j’ai deux méthodes différentes. La première c’est de commencer à partir d’une image, quelque chose que j’ai vu, observé et qui m’a provoqué une vive émotion. La deuxième façon c’est de partir d’une matière première ou odeur qui m’inspire.
J’emmagasine toutes ces idées dans ce que j’appelle « mon tiroir à formules ». Quand je crée un nouveau parfum, soit je pars d’une page vierge, soit je cherche dans mon « tiroir » et je construis sur des combinaisons de ces formules initiales.
C’est le même procédé pour choisir le nom. Je « collectionne » les mots dans la vie de tous les jours. Au départ, c’est comme un jeu où je sors les formules du tiroir, je les combine, je fais des choix… au fur et à mesure de la création, les idées commencent à prendre forme, le chaos devient cosmos… Je consulte régulièrement mon équipe pour avoir son avis et faire des ajustements, si nécessaire.
Quelles sont les étapes de la création ? Comment savez-vous que vous êtes arrivée au résultat escompté ?
Il faut avouer que la création est parfois longue, mais que j’y vais étape par étape. Il n’y a pas donc 100% de réussites. Je pense toujours qu’il y a de la place pour mieux faire. Je prépare plusieurs formules et après une discussion avec mon équipe nous décidons quelle est la plus aboutie. Le processus est différent quand je prépare un parfum commandé par un client. Comme ce n’est pas ma marque, je commence à travailler à partir d’un brief client.
Statu quo
Quel est votre ressenti maintenant que votre marque est connue à l’international ? Avez-vous le sentiment d’avoir atteint vos objectifs du départ ?
Je suis très reconnaissante pour le contexte actuel. Le cadre essentiel de que j’ai imaginé au début est devenu réalité. La prochaine étape est de grandir encore plus et d’atteindre la taille critique, d’un point de vue business, tout en s’adaptant au changement de génération, d’un point de vue produit et marque.
Quelle est votre plus grande réussite en tant que créatrice ?
J’ai un énorme sentiment de fierté et d’accomplissement quand je vois mes parfums sur les étagères de différentes boutiques. J’ai le même sentiment quand je parle avec mes clients et que je vois qu’ils apprécient mes créations.
Quel est le meilleur aspect de cette aventure entrepreneuriale ?
Le plus beau côté de cette aventure sont les personnes qui aiment mes créations, mes parfums. Le fait qu’ils me comprennent et qu’ils comprennent ma démarche.
Et la partie la plus difficile ?
Quand on a son propre business comme parfumeur indépendant, il faut accorder beaucoup de temps au management, au détriment du temps de création. Je suis toujours à court de temps. La partie la plus difficile est de trouver l’équilibre et la concentration nécessaires pour faire les deux, être manager et créateur à la fois.
En tant qu’indépendant il y a des moments où le futur est incertain, quand j’ai des doutes sur le chemin à prendre. Mais l’excitation de découvrir et d’expérimenter quelque chose de nouveau, trouver l’inspiration dans des thèmes chers à mon cœur m’aident à continuer.
Au Japon, tout comme en Europe, le marché des parfums et dominé par quelques grandes compagnies qui poussent à la standardisation des produits et de la communication. Comment vous sentez-vous en tant que petit créateur indépendant dans un marché contrôlé par des « requins » ?
Je suis heureuse et je me sens bénie de pouvoir créer ce dont j’ai envie de créer. Je suis également heureuse d’être proche de mes fans et des consommateurs. Les grandes compagnies ne peuvent pas faire ça. Mon plus grand atout est la liberté : la liberté de créer ce que j’imagine et la liberté d’être au contact de ceux qui s’intéressent à mes produits.
Dans quelle mesure la liberté est-elle importante pour vous ?
C’est aussi important que le fait de respirer.
Comment vous décririez-vous en trois mots ?
Tenace parce que je ne laisse jamais tomber, curieuse et déterminée.
D’après vous, de quoi a-t-on besoin pour être un créateur ?
Je pense qu’il faut être dans un état d’esprit spécial, il faut aimer ce que l’on fait pour se sentir épanoui au travail. Il ne faut pas oublier que c’est cette même passion qui vous fera vivre. Je pense également que l’on peut apprécier de plus en plus ce que l’on fait avec le temps.
Quel est votre conseil pour les jeunes créateurs ?
Devenir parfumeur n’est pas un but en soi. Ce qui importe est ce qu’on aimerait accomplir une fois qu’on l’est.
Liens externes :
Adresse de la boutique Parfum Satori : 3-6-8 Roppongi, Minato-ku, Tokyo 106-0032 Japan;
Le site officiel de http://parfum-satori.com/en/ text : Parfum Satori.
Entretien réalisé en anglais par Faurar. Images par Faurar.
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