Justin Duance, plus que de l'or
À la pointe des Cornouailles, là où les rochers rugueux rencontrent les la Mer Celtique, vit un maître artisan qui sait comment élever des matériaux, précieux ou ordinaire, à un niveau de sens qui dépasse largement leur valeur intrinsèque. Il s’appelle Justin Duance, il est joaillier dans la région des Cornouailles.
Né aux Cornouailles dans la famille d’un ingénieur civil, Justin a voyagé partout dans le monde jusqu’à l’âge de 8 ans, quand sa famille s’est installée dans le Hampshire où il a commencé ses études. Comme il l’admet avec beaucoup de modestie et d’ironie, malgré le milieu bourgeois, il n’a jamais trop adhéré aux méthodes de l’enseignement traditionnel : « L’école ce n’était pas trop mon truc. Sans être polisson, j’avais une forte envie de faire les choses différemment et pas forcément dans l’esprit de ce que l’on m’enseignait. À ce moment-là, on me disait et je sentais que j’avais une fibre artistique. Maintenant je me dis que j’étais probablement moyen, mais c’était le seul domaine pour lequel j’ai montré d’intérêt ». Plus tard, en tant que jeune étudiant, Justin a continué à mener une vie bohème, faisant de la musique et du surf, mais sans un but précis.
Sa vie a été complètement chamboulée, dans le bon sens, pendant ses études à l’Université de Portsmouth, où il a eu part d’une révélation : dans l’atelier de métaux de l’université, il a découvert la Joaillerie. Il a découvert le banc et les outils du Joaillier, il a appris que le Joaillier était en fait un sculpteur à une autre échelle et que les bijoux pouvaient être faits de n’importe quel matériau. C’était enfin l’étincelle qui a allumé ses effusions artistiques latentes, sinon disparates, auparavant. La Joaillerie était la grande Vague qu’il attendait sans en avoir conscience. C’était sa Vocation.
S’épanouissant en tant que Joaillier, Justin a progressivement développé ses propres méthodes, style et éthique. Des moules remplies de sable donnent forme et aspérités au métal, tout comme le vent et l’eau façonnent les côtes des Cornouailles. Le bois d’anciens navires, de meubles défunts ou du verger du client-même retrouvent une seconde vie dans ses mains. Des métaux recyclés et provenant de filières éthiques sont transformés dans des pièces uniques et intimes de joaillerie.
Mais la vraie beauté de ses créations va au-delà de l’unicité de leur forme : elle se trouve dans les effets de sens, les histoires qu’elles portent, dans le fait qu’elles englobent une partie de l’âme, du passé et de l’avenir de leur propriétaire. Et cela c’est plus précieux que tout l’or au monde.
Découvrez ici l’histoire de Justin Duance.
LA NAISSANCE D’UN JOAILLIER
Comment êtes-vous devenu joaillier ? S’agissait-il d’un rêve d’enfance ou d’une tradition de famille ?
Quand j’étais adolescent, je n’avais pas d’idée de ce que je voulais faire. J’avais plutôt un profil créatif et j’étais toujours en train de faire quelque chose, mais sans jamais ressentir d’inspiration. Au niveau des études, la seule option possible pour moi était une fondation d’art, c’est-à-dire un cursus d’un an que les gens font d’habitude avant de poursuivre leurs études par un diplôme en arts. J’ai passé l’entretien et on m’a proposé une place à l’Université de Portsmouth. Là j’ai continué à « flotter » et à produire du travail sans vraies conséquences, sans vraiment apprendre et sans impressionner personne. Bien évidemment, je pensais que tout allait bien, je faisais plein de choses, j’écrivais des chansons, je donnais des concerts, je vivais globalement une vie alternative – mais pas dans le sens souhaité par les profs.
C’est là où j’ai eu énormément de chance. Deux choses me sont arrivées. Une des salles des machines de l’Université de Portsmouth avait un petit atelier métallurgique et des bancs de Joaillerie. Dans la bibliothèque de l’atelier, j’ai trouvé un livre sur la Joaillerie contemporaine. Je ne savais pas que la joaillerie était en fait de la sculpture avec une fonction précise. Je ne savais pas que les bijoux ne devaient pas nécessairement être faites en or ou pierres précieuses. Elles pouvaient être en plastique ou ciment. Depuis ce moment révélateur, tous les projets que j’ai faits one été faits sous le signe de la Joaillerie et ça avait du sens. Ensuite, j’ai postulé à la Fondation Sir John Cass à Londres pour un diplôme de joaillier. J’y ai été accepté sur la présentation de mon portfolio et ainsi j’ai commencé en 1997 un cursus de 3 ans.
Après vos études à Londres, qu’est-ce qui a provoqué votre décision de retourner dans le Cornouaille et d’y mettre les bases de votre propre atelier – au-delà du fait que Londres est un des lieux les plus chers au monde ?
Comme à l'école, à l'université j'ai continué à rejeter ce qu'on nous enseignait à propos du métier de designer. Je voulais le faire, mais d'une manière différente. Après avoir obtenu mon diplôme en 2000, j'ai commencé à chercher un emploi. Au bout d'un mois ou plus de recherches sans succès, j'ai décidé de présenter mon travail dans quelques magasins – et ils l’ont acheté. J'ai alors décidé de ne plus chercher du boulot et de démarrer, en revanche, mon propre business. Dans un premier temps, je ne suis pas allé envers les galeries de Londres, même si je l’ai fait au bout d’un moment. J’ai emprunté 1000 livres de mon papa et travaillé depuis ma chambre. J'ai rapidement trouvé plus de 20 revendeurs juste en allant dans des magasins et des galeries ou en envoyant des brochures de présentation. C'était aussi le début du shopping sur Internet, alors j’ai fait mon propre site web. Cela s'est avéré être une bonne décision car, à l’époque, il était assez inhabituel d'avoir un site web pour vendre son propre travail. Depuis, je n'ai jamais eu besoin d'un travail à mi-temps, même si j'étais très pauvre !
Après une année à Londres, le loyer de ma collocation a augmenté et nous avons dû déménager. J'avais quelques revendeurs à Cornwall et mon père vivait à Penzance. Comme les ateliers et les vieux bâtiments de pêche étaient très bon marché là-bas, j'ai décidé de faire ce changement – j'avais toujours voulu rentrer chez moi, dans le Cornouaille.
J'ai maintenant 10 personnes qui travaillent pour moi, que j'ai progressivement recrutées au fil des années. Ils ont tous contribué au design et à la gestion du business. Je ne serais pas où je suis maintenant sans eux.
ART, ARTISANAT ET JOAILLERIE
Est-ce que vous vous considérez « joaillier », « bijoutier », « forgeron » ou « orfèvre » ? Que répondez-vous quand on vous demande quel est votre métier ?
Je me considère joaillier plutôt qu’orfèvre (goldsmith, silversmith). Je dirais que je fais de la Joaillerie et que ça peut être fait avec n’importe quel matériel ou matière, allant de l’acrylique jusqu’aux cailloux trouvés sur la plage. Cela ne veut pas dire que mes compétences ne sont pas similaires à ceux d’un orfèvre qui martèle l’or ou l’argent. Dans la joaillerie il y a tellement de compétences et techniques différentes que ce serait impossible de toutes les connaître. Attention, parfois j’ai l’impression d’être un manager ou un responsable de ressources humaines. Mais cela fait partie de la vie d’une petite entreprise.
Êtes-vous un artiste ou un artisan ? Quelle est votre mission créative ?
Je ne me considère pas être un artiste. Mes créations sont faites pour être portées, je me pose toujours la question de leur usage et qu’est-ce qu’il fait qu’on les achète. Ma mission a toujours été celle de créer des bijoux contemporains à des prix accessibles. Ce n’est pas fait que pour les riches ou pour être mis sur un piédestal dans une galerie – les bijoux sont faites pour être aimés et appréciés par leurs propriétaires même s’ils ont été achetés au comptoir d’un marché pendant les vacances. Je souhaite créer des trésors qui soient précieux à leurs propriétaires pour le côté personnel et le sens qu’ils apportent.
Alors que cela m’anime dans le processus de création, c’est la façon dont les objets sont faits qui est intrinsèque à mes conceptions. Le contraste dans la façon dont deux matériaux différents se rencontrent comme dans la nature ou la structure sur laquelle repose la forme d’un objet naturel c’est ce que je trouve de fascinant. L’utilisation de ces matériaux naturels donne également un sens à l’objet qui est plus profond que sa forme.
Maintenant, presque 17 ans après, pensez-vous avoir accompli cette mission initiale ?
Oui, j’ai le sentiment d’avoir atteint mes objectifs bien que maintenant ça marche un peu trop bien, donc je ne crée pas aussi souvent que je le faisais auparavant.
Quelles sont vos sources d’inspiration ? Quel est votre endroit préféré au monde ?
Endroit préféré… Dans la mer avec une brise au large et une houle parfaite.
Comment avez-vous eu l’idée d’utiliser des matériaux spéciaux : bois provenant d’anciens barques, meubles ou même du verger de votre client, ainsi que des métaux recyclés ?
Il est essentiel pour moi que le bijou soit un vecteur de sens pour celui qui le porte, ce qui fait que j'aime bien utiliser des matériaux provenant d'endroits particuliers, tels que le bois d'un ancien navire ou le sable ramassé d'une plage spéciale. Ces matériaux ne font pas que partie du bijou, mais contribuent à son esthétique.
LE MARCHÉ
Le marché de la joaillerie est globalement très concurrentiel. D’un côté, on a une pléthore de petits créateurs joailliers essayant de faire les choses différemment ; dans l’autre camp, on retrouve les grandes corporations qui arrivent à séduire le consommateur grâce à leur grand pouvoir de communication. Quelle est votre attitude par rapport à la concurrence ? Quels sont vos atouts concurrentiels ?
Y’a énormément de créateurs fantastiques. C’est juste dommage que les grandes compagnies et marques ont plutôt tendance à copier les petits designers que de faire appel à eux ou acheter leurs créations. Cela nous oblige à toujours avoir un pas d’avance par rapport à eux.
D’autre part, un autre aspect dont j’ai pris conscience au fil du temps c’est qu’au moment un nouveau créateur apprend une nouvelle technique, compétence ou design qui a déjà été fait, ils ne se rendent pas compte qu’ils sont en train de copier et non d’innover, ils le voient juste comme une nouvelle compétence…
Que faut-il pour avoir du succès en tant que joaillier indépendant ? Quels sont les facteurs clés de succès sur votre marché ?
Le succès est ce que vous voulez que ce soit. Je pense que j’ai réussi. Je suis très conscient que tout pourrait mal tourner à tout moment et je suis très reconnaissant que les gens aiment toujours mon travail et que j’ai une équipe incroyable de gens qui travaillent pour moi.
La plupart des créateurs indépendants que j'ai interviewés n’aiment pas trop les notions « branding », « marketing »… Cependant, c'est une réalité du système dans lequel nous vivons et nous ne pouvons pas vraiment nous en passer. Quelle est votre opinion sur le branding ?
Au départ, j’ai adoré le côté branding. C’était pour moi juste une nouvelle façon d’être créatif. Maintenant, cela vient aussi avec la volonté de faire en sorte que les gens reçoivent quelque chose de joli. Tout se résume à ce que la personne ressent au moment où elle reçoit l’objet.
Quels sont vos principaux marchés ?
Surtout le Royaume-Uni, mais également l’Europe à environ 10% et le reste du monde 5%. Dans le bureau, nous avons une carte du monde avec des épingles dans tous les endroits où nous avons des commandes. Nous manquons cruellement d’une épingle russe !
L’INDEPENDANCE
Quels sont les hauts et les bas de la vie d’indépendant ?
La même réponse pour les deux… J’adore pouvoir faire de la gestion de business, du marketing jusqu’au design et la comptabilité, mais parfois avoir à faire toutes les parties de l'entreprise était aussi le pire !
Quelle est l’importance de l’indépendance pour vous ? Si une grande boîte vous ferait une offre de rachat ou vous offrirait un poste de haut niveau, y iriez-vous ?
Je ne pense pas. Je préférerais que l’entreprise continue à marcher de façon indépendante même au cas où je ne pouvais plus le faire moi-même. Les gens qui travaillent pour moi me sont extrêmement importants. Nous sommes une équipe et le fait de leur assurer la sécurité et un bon emploi est devenu l’une des priorités et des objectifs de ce que je fais.
Que faut-il pour être un « maker » en termes de compétences, de mentalité, de personnalité ? Des conseils pour les jeunes créateurs et les créateurs ?
Soyez confiant. N’ayez pas peur montrer votre travail. Si vous avez la confiance, ensuite assurez-vous que votre prix est correct. Il ne faut pas penser « est-ce que les gens vont l’acheter ? », mais en termes « est-ce que cela va me permettre de vivre ? »
...ET POUR FINIR
Quelle est l’essence de votre travail, en un seul mot ?
PERSONAL.
Liens externes :
Le site web de Justin Duance;
L'atelier de Justin Duance : Trengwainton Pump House, Tremethick Cross, Penzance, Cornwall, UK.
Entretien réalisé initialement en anglais par Faurar.
Publication des images avec l’aimable autorisation de Justin Duance.
© Faurar