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Fanny Richard et la matière vivante

Fanny Richard et la matière vivante

Après avoir fait des études de design textile à Olivier de Serre et à Duperret, Fanny Richard a découvert une matière différente : la terre. C’était un coup de foudre. En octobre 2010, elle décida de créer son propre atelier de céramique et sa propre marque, Yfna, se lançant ainsi dans une vie de céramiste indépendante. Depuis, elle continue toujours à façonner la terre avec passion, dans son atelier du 23 Rue Pasteur à Pantin.

Entre artiste et artisane ou, justement, les deux à la fois, elle revendique la noblesse de la Main et l’indissociabilité du Penser et du Faire. Si ses mains donnent forme, ses émotions donnent vie à la terre.
Dans l'ambiance chaleureuse et fertile de son atelier, entre des bouts de porcelaine et de grès, des objets qui attendaient sagement d’être mis au four et d’autres qui brillaient sous une couche fraîche d’émail, Fanny nous a fait part de son rapport à la matière, au métier, à l’indépendance et à la création.

Un échange plus qu’enrichissant que vous pouvez découvrir ci-après.

La matière

Comment avez vous décidé de passer du textile à la céramique ?
Le design textile c’est comment créer un univers avec de la couleur, des matières, des surfaces, des motifs, des dessins. En passant du textile à la céramique, je n’ai pas changé de métier : j’ai juste changé de matériaux. Aujourd’hui je suis céramiste, peut-être demain je serai vannière ou métallurgiste… Toutes les matières ont quelque chose à dire, l’enjeu c’est de les faire parler.

Pourtant, la rencontre avec la terre a eu lieu il y a plus de 8 ans et vous êtes toujours en train de travailler cette matière.
La rencontre avec la terre ça s’est fait pendant ma licence de textile. En touchant à la terre, j’ai touché à quelque chose qui m’a vraiment fait vibrer. Elle est tellement plurielle, riche, surprenante, que je ne sais pas si j’arrive à passer à une autre matière un jour. En revanche, elle demande énormément d’implication et d’exigence.

Quelles sont plus précisément les exigences de la terre ?
L’ouverture du four c’est à la fois un moment de grâce et un moment d’humilité, celle de se dire « ce n’est pas ce que je pensais que ce serait ». C’est aussi un moment d’accueil de l’accident, de l’imprévu et donc de quelque chose de mystérieux, ce qui est génial !

Qu’est-ce qu’elle vous apprend, cette matière ?
Le métier de céramiste c’est un métier où on apprend à avoir la patience. Pour moi, quelqu’un de très impatient, c’est plutôt une thérapie… C’est un métier où on apprend l’humilité d’une matière qui intègre tous les éléments : la terre, l’eau, le feu, l’air. Ils sont indissociables et chacun mettra sa touche. Si je ne laisse pas la place à chacun et que si je veux tout maîtriser, j’enlève le vivant. Dans ce cas-là, on se confronte à non pas une danse, mais à une bagarre. Et qui a envie de se battre avec la matière ? Il vaut mieux plutôt apprendre à danser avec elle.

Le métier

Quelles sont les dichotomies du métier de céramiste en France aujourd'hui ?
En France, y’a de vieux combats entre beaux arts et arts appliqués, objet d’art et objet visuel, la pensée et la main, artiste et artisan, design et artisanat… C’est comme parler du corps et de l’esprit en médecine : ça n’a même pas lieu d’être !
On peut parler également d’une forte dissociation du faire et du penser. Ça peut paraître complètement paradoxal, car je ne vois pas comment on peut penser sans avoir fait ou faire sans penser. C’est les deux, quand ils sont ensemble, y’a quelque chose de juste et d’harmonieux.
On est légitimes de faire et de penser, on a le droit d’être artiste et artisan en même temps. On a le droit d’être tout ce qu’on a envie d’être.

Artiste ou Artisan?
Si je prends le côté militant de la chose, je suis artisan. Même artisane, pour rajouter une couche. Y’a un combat sur la noblesse du faire, sur la noblesse de la main, qui est trop souvent mise à mal.
C’est une question qui m’a suivie tout au long de mes études, mais c’est en fait un faux débat. Le but ce n’était pas de trouver la réponse, mais de me trouver. Quand on me demande « Est-ce que tu es artiste ou artisan ? », j’aime bien dire : « Je vous laisse choisir, ce qualificatif n’est pas important pour moi ».

Après, si je regarde réellement ma pratique sur certaines choses, je suis plutôt artisane qu’artiste, et sur certaines choses, je suis plutôt artiste qu’artisane. Je ne dis pas la même chose, je n’ai pas la même approche, les mêmes contraintes, j’ai pas le même filtre émotionnel dans ce que je crée. Ce qui est certain c’est que dans tous les objets que je crée y’a un bout de moi, le bout d’une émotion qui m’est propre et que j’essaie de transmettre. L’enjeu est là : essayer de partager cette émotion universelle.

D’où viennent vos émotions ?
Dans mon travail, elle vient très souvent de l’environnement, de la nature. Pas forcément d’une nature globale, ça peut être quelque chose de microscopique : une lumière, la couleur d’un petit bout de feuille, un détail qui m’émeut… Et de cette émotion je me sens vivante, et de cette vivacité qui m’envahit, l’envie de la partager et de le faire ressentir. De sentir que cette humanité que je porte en moi est en chacun de nous. Mon métier est un prétexte à véhiculer des émotions primordiales de l’être humain.

Qu’est-ce qui vous épanouit dans ce métier ?
C’est plutôt un mystère. Le travail de la terre est un chemin qu’il faut faire avec tout son cœur. C’est un travail qui m’épanouit quand je suis juste, c’est-à-dire quand je sais à ce moment-là que le résultat est exactement à l’endroit où j’ai été émue et à l’endroit où j’ai envie d’émouvoir. Mais ça, à savoir comment je fais à ce moment-là, c’est le mystère…

L'indépendance

Comment avez-vous décidé de devenir indépendante ?
Je n’ai jamais travaillé dans une entreprise parce que travailler dans une entreprise me demandait de choisir entre faire et penser. Comme je n’ai jamais dissocié le penser et le faire, ça m’a mené toujours à une vie d’indépendante.

Si une grosse boîte de céramique vous proposerait un bon poste de directrice de la création, qu’est-ce que vous feriez ?
Je sais déjà la réponse : je n’irais pas. La liberté, une fois qu’on y a mordu, on n’a pas envie de la lâcher. Même si elle coûte très cher, elle est beaucoup trop précieuse.

Justement : quel est le coût de l’indépendance ?
D’être une Shiva : d’avoir dix bras, dix têtes, quinze jambes, de jamais s’arrêter, d’être toujours en prise avec le besoin d’exister et de créer, de devoir faire sa comptabilité, ses factures, générer de l’argent, gérer la communication…

Les hauts et les bas de l’indépendance 
La plus belle partie : la liberté de faire des erreurs. La plus difficile : la liberté de faire des erreurs. Avoir beaucoup, beaucoup à gérer.

The act of creation

Objet singulier vs. Objet de série
Si on parle business, il faut parfois être dans la rythmique de créer des collections d’objets – je préfère pourtant le mot « famille ». Même si j’en fais plusieurs, même s’ils ont été façonnés de la même terre, ils sont tous uniques. J’utilise aussi des moulages, pas pour le fait de pouvoir répéter une forme, mais pour voir comment des objets qui viennent tous du même moule, de la même mère, comment ils peuvent tous être aussi uniques. C’est formidable ! C’est aussi l’émotion la plus forte que j’aimerais partager dans mes objets : que chacun y trouve son unicité.

Qu’est-ce que vous souhaitez accomplir à travers la création ?
Un objet artisanal est fait par la main, il est fait par quelqu’un, à un moment donné, il est fait dans une émotion, dans un état d’être de celui qui fait. Quand on est émus par cet objet, ça parle de soi, de qui on est, de ce qui nous constitue. Parfois c’est trop intime, parfois c’est dérangeant, parfois ça met mal à l’aise – et c’est précieux justement pour ça ! Si je peux donner des outils pour se rencontrer soi-même, de parcourir le chemin vers soi, c’est génial.

Quelle est la place de la technique dans ce métier ?
On n’a pas besoin d’une grande technicité pour dire des choses et transmettre des émotions. Bien sûr, si la technique m’empêche de le dire, j’irai chercher à la maitriser, mais je ne l’apprends pas juste pour me sentir légitime. Se cacher derrière de la technique, c’est avoir peur de l’émotion, du charnel, du matériel, du vivant, du mortel… parce que, finalement, l’objet qui ne porte pas d’émotion, c’est quelque chose qui est mort. Mais se sentir vivant, ce n’est pas forcément évident !

Avez-vous des artistes ou artisans qui vous inspirent ?
Y’a beaucoup d’œuvres de Guiseppe Penone qui me touchent beaucoup. Le travail de Gina Pane me pose encore des questions, ça m’a presque agressée et je me demande encore d’où vient cette émotion, pourquoi elle vient et j’y repense souvent… J’aime bien les dessins végétaux de Matisse. C’est souvent des dessins, des approches artistiques qui sont différentes.

Parlez-nous de la phase de conception.
C’est un processus fulgurant, comme si ça avait maturé en moi pendant longtemps et ça sort d’un coup. Une fois que c’est sorti, je peux le regarder et je sais d’où ça vient – mais une fois que c’est là. Je sens ce qui est en train de travailler en moi, mais tant que ce n’est pas là, je ne peux pas le formuler. Ce sont des histoires qui viennent d’une émotion, de quelque chose que j’ai eu envie de reconstruire ou de retransmettre.

Faire pour plaire ?
Je ne fais jamais les choses pour plaire ou être aimée. Ça tient à un équilibre personnel : s’apporter assez d’amour pour pouvoir en donner. Parce que si on ne s’en aime pas assez, ce qu’on va chercher c’est l’amour des autres et c’est aussi vrai dans ce métier. En grandissant, on découvre aussi que quand on se donne assez d’amour, on peut avoir un regard bienveillant même pour la personne qui n’aime pas mon travail. Je n’ai pas besoin qu’ils me disent que c’est beau pour que je sache si je suis juste ou pas. Beau ou pas beau, tous ça c’est des considérations que chacun porte en soi, c’est subjectif et je peux très bien comprendre que mon travail ne puisse pas émouvoir quelqu’un. Ça lui appartient.

Un seul mot pour décrire l’essence de votre univers ?
Vivant.

Lien externe : le site de Fanny Richard.
Entretien et images réalisés par Faurar dans l'atelier de Fanny Richard, 23 Rue Pasteur, Pantin, décembre 2017.

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