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Alessandro Gualtieri, un nez en dissidence

Alessandro Gualtieri, un nez en dissidence

Pour les vrais connaisseurs, le nom Alessandro Gualtieri est synonyme de l’iconoclasme dans la parfumerie contemporaine. Dans un marché écrasé par le poids de ses propres routines et conventions, qui trouve le confort dans des stratégies “me-too”, Alessandro a le courage d’ouvrir de nouveaux chemins dans tout ce qu’il dit et tout ce qu’il fait.

Au niveau du produit, ses jus surprennent nos nez par des rencontres inédites et audacieuses d’ingrédients. Son approche créative accueille à bras ouverts le hasard et l’accident. Bien sûr, Alessandro conçoit le grand dessein, mais au fur et à mesure, il accepte que ses créations puissent développer une volonté et une vie propres, ce qui ne peut qu’enrichir son projet initial.

Guidé par ses instincts et par une vivace curiosité, Alessandro se sent stimulé là où d’autres seraient offensés, voire écœurés. Son spectre d’inspiration couvre une gamme très large, incluant les effluves de viande et de sang, de terre et de fumier, les odeurs corporelles les plus brutes, les paradoxes et les contrastes des endroits où ses pas l’emportent.

D’un point de vue identitaire, le nom même de sa première marque – Nasomatto, mot italien traduisible par « le nez toqué » ou « le nez cinglé » – annonçait déjà depuis 2008 sa posture subversive par rapport aux lois du secteur de la parfumerie de luxe. Le design postmoderniste et épuré de ses bouteilles se démarque de la multitude des morphologies baroques ou romantiques ultra-ornées de la plupart des concurrents présents sur le marché.

Dans un environnement plutôt rigide, qui se prend trop au sérieux et qui réitère en boucle quelques leitmotivs centraux, la communication de marque d’Alessandro est savoureuse et fraîche, parsemée d’ironie et d’autodérision : qui pourrait s’imaginer en train de chevaucher un bouc ou, encore mieux, qui oserait penser à une carte de vœux avec un visuel de fleur qui lâche un pet ? Il n’y a pas de tabous pour Alessandro, que de possibilités illimitées de défier la « sagesse conventionnelle » du marché.

Malgré sa folie autoproclamée, Alessandro est un artiste d’une grande profondeur. Intense, déterminé, indompté, il est un fin connaisseur de l’esprit humain, qu’il essaie de valoriser et amplifier à travers ses créations.

Dans ce contexte, nous nous sommes dit que ce serait plus que légitime de lui demander l’avis sur l’independence, la dissidence et le succès dans le secteur de la prétendue « parfumerie de niche ».

Avant le lancement du projet Nasomatto en 2008, vous aviez longtemps travaillé dans le secteur des parfums, notamment 8 ans dans une grande corporation basée à Düsseldorf en Allemagne. Qu’est-ce qui a déclenché la décision de quitter le confort corporatiste et de plonger dans l’inconnu ?
C’était un cri de désespoir après avoir subi pendant toutes ces années les limitations imposées par les règles et régulations de l’industrie. Je voulais m’exprimer pleinement, je voulais partager mes créations et pensées directement avec le consommateur final.

Qu’est-ce que vous souhaitiez accomplir par le lancement de votre propre projet ? Maintenant, 10 ans après, est-ce que vous pensez avoir réalisé votre vision initiale ?
Je voulais seulement m’exprimer. Au départ, Nasomatto était destiné à être une plateforme expérimentale. Et maintenant, je suis heureux et reconnaissant que les gens m’aient compris, ainsi que mes intentions, au travers de mes créations.

En tant que créateur indépendant, on traverse forcément des hauts et des bas. Quelle est le mieux et quel est le pire de la vie d’indépendant ?
Il y a des hauts et des bas dans tous les champs de la vie. C’est la vie. Le plus beau et précieux aspect de la vie d’indépendant c’est la liberté. Le plus compliqué est également la liberté.

Quel est votre rôle préféré au quotidien : businessman ? Entrepreneur ? Challenger ? Explorateur ? Nez ? Créateur ? Éveilleur des sens ? Chimiste ? Alchimiste ?
Je me définis en tant qu’artiste de l’odorat et je communique à travers mes parfums.

Le marché des parfums de niche est aujourd’hui en pleine mutation : consolidations, acquisitions, d’innombrables lancements de produits et marques chaque année… Qu’est-ce qui vous a donné le courage d’entrer sur ce marché ultra-concurrentiel ? Qu’est-ce que vous pensez de vos concurrents ?
J’ai commencé il y a 10 ans, quand le marché manquait cruellement d’un nouveau type d’expression et d’un contenu de meilleure qualité, qui étaient d’ailleurs nécessaires après l’ère de la consommation des années ’80 et ’90 et dans le contexte après-crise. C’était un moment où quelques personnes ont ressenti la nécessité de redéfinir le sens de la qualité et de la créativité dans le secteur de la parfumerie.
Maintenant ce marché est fini et la plupart des soi-disant parfums de niche ou artistiques sont vraiment médiocres, d’autant plus si tu en retires la forme et considères les odeurs pour elles-mêmes : elles sentent comme des produits de grande distribution. Il est difficile de créer quelque chose de bien de A à Z, d’avoir à la fois une odeur unique et un packaging exceptionnel. Je crois qu’il y aura quelques compagnies de niche qui perdureront, quand beaucoup d’autres disparaîtront très bientôt. En général, je travaille pour moi-même et crée mon propre marché, je ne m’intéresse pas à ce que font les autres.

Quelle est la clé du succès en tant que créateur indépendant ?
Une approche unique, un nouvel angle de vue et, surtout, un produit de qualité exemplaire en terme de composantes et combinaisons d’ingrédients.

Vu de l’extérieur, on peut dire que vous avez déjà atteint le succès avec vos deux marques, Nasomatto et Orto Parisi. Mais j’aimerais savoir quelle est votre propre vision ou définition du succès ?
Je crée toujours pour moi-même et si les gens l’apprécient et peuvent se retrouver dans mes créations, je suis plus qu’heureux. Le succès c’est avoir une audience qui aime et se sert des choses que l’on crée… même pour des raisons différentes.

A quel point vos décisions de branding ont influencé la croissance de votre business ?
Je n’aime pas trop les mots tels que « branding », « marketing »... Je base mes décisions à l’instinct de mes tripes, au « gut feeling ». Je commence par créer une odeur et ensuite tout se construit autour de ça. Je suis très attiré par tous les types de matériaux, leur qualité intrinsèque, leur contexte culturel, leur héritage…

Comment définiriez-vous l’essence de vos marques, Nasomatto et Orto Parisi, en un seul mot (bon, maximum trois mots) ?
NASOMATTO : Sans limites.
ORTO PARISI : Attraction et Répulsion.

Votre créativité, est-elle une ressource que vous pourriez déployer dans d’autres domaines pour l’avenir ou est-elle liée exclusivement aux parfums ?
Oui, j’essaie maintenant de « m’affranchir » de la bouteille et je travaille à la création de différentes installations et performances pour matérialiser mes odeurs.

Quelles sont les attributs d’un créateur ?
Intuition et persévérance. Soit on l’a, soit on l’a pas.

Question dystopique, surtout pour quelqu’un qui vit sous le signe de l’odorat : je connais plusieurs cas de gens qui ont perdu leur sens de l’olfaction, suite à des accidents. Que pensez-vous de la perspective d’un monde ou d’une vie anosmique ?

Dans une société régie par les ordinateurs, la perte de l’olfaction sera sans doute compensée par des dispositifs techniques, au moins pour une partie de la population…

Maintenant, quelques questions rapides en mode « noir ou blanc » :

Ranger ou déranger ?
DÉRANGER !

Control ou hasard ?

Hasard.

Végétal ou animal ?

Animal

Maintenant ou demain ?
MAINTENANT !

Auto ou vélo ?
Moto.

Les gens ou la solitude ?
Les gens.

Poisson ou agneau ?
Agneau.

Liens externes :
Le site officiel Nasomatto
Le site officiel Orto Parisi

Cet entretien a été réalisé en anglais par Faurar. Images par Nasomatto et Orto Parisi.

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